Les greens et départs en permaculture au Golf National : Quels résultats un an après ?
Publié le 21 juillet 2023 à 07h00
Catégorie : Recherche & innovation
Il y a presque un an, nous rendions visite à Arthur Lecomte, responsable Paysage & Environnement au Golf National, dans le cadre de l’installation de deux départs expérimentaux en permaculture, face au centre d’hébergement de l’Oiselet. Quelques mois plus tard, cette expérimentation livre ses premiers résultats, avec notamment des mécanismes profonds très efficients en termes de biodiversité.
Plus d’une année s’est passée depuis notre visite du Golf National de Guyancourt pour voir les départs en permaculture mis en place par Arthur Lecomte, référent Environnement pour le golf. Un an après, le recul sur cette expérimentation est plus important. Déjà confiant au début des tests, Arthur Lecomte n’a pas caché son enthousiasme quant au bien-fondé des substrats en permaculture. « Je pense vraiment que c’est une solution d’avenir pour la filière. Et plus le temps passe plus je suis optimiste », lance-t-il. Son optimisme semble justifié tant les résultats de cette expérimentation sont bons, notamment en termes de biodiversité. Mais avant d’aborder les données et les résultats de ce test grandeur nature, revenons d’abord à la construction des greens et des départs en permaculture.
La construction du green en permaculture
Le substrat comporte 10 strates sous le gazon, et chacune a son utilité.
Les différentes couches du substrat sont organisées de telles sortes qu’elles puissent retenir l’eau et apporter des nutriments à la plante de façon optimale. Dans cette optique, il ne faut pas freiner ou gêner le développement racinaire, c’est pour cela que les couches sont composées d’élément plus épais en bas (robiniers, gros bois), qui s’affinent en remontant (branches, feuilles, aiguilles, laine, etc.)
Les robiniers sont d’excellents fixateurs d’azote avec des propriétés de captage de CO². Ils proposent un équilibre carbone/azote intéressant en profondeur. Il joue également un rôle de rétention d’eau, comme chaque couche du système racinaire.
Le gros bois mort joue un rôle d’éponge en retenant efficacement l’eau. Il est également un gîte parfait pour les xylophages et les décomposeurs, qui vont mettre à disposition des racines ce qu’ils ont consommé sous forme de minéraux directement assimilables.
Les branches sèches jouent le même rôle mais leur finesse permet une meilleure circulation des racines. Quant aux branches vertes, elles sont destinées aux décomposeurs gourmands d’éléments vivants. Les feuilles sèches ont un apport carboné tandis que le gazon fauché apporte plutôt de l’azote. « Nous essayons d’alterner entre strate azotée et strate carbonée, sans non plus être trop rigide », précise Arthur Lecomte.
Les aiguilles de résineux sont des régulateurs de décomposition. « Elles permettent aux populations fongiques et bactériennes, ou à beaucoup de décomposeurs comme les limaces, d’agir beaucoup moins vite sur la décomposition de matériaux qui se dégradent comme le gazon fauché », explique-t-il. Sans cette couche, la décomposition serait beaucoup trop rapide.
Les plumes ou la laine de mouton sont comparables à la corne de bouc broyée, qui est un engrais naturel à libération lente d’azote. « A l’intérieur, il y a une forte concentration de kératine, une protéine constituée de 50 % de carbone, 24 % d’oxygène, 16 % d’azote et 7 % d’hydrogène. Cette matière se décompose très lentement », ajoute-t-il.
Le géotextile spécifique n’est pas indispensable d’après Arthur Lecomte, car la laine de mouton joue déjà ce rôle. A contrario, il faut beaucoup de sable 0,1 mm mélangé avec une certaine proportion de sable 0,04 mm afin d’obtenir une bonne fermeté pour le placage de gazon sportif.
Les 9 strates (10 en comptant le géotextile) forment un substrat sur 115 cm de profondeur.
Vu sur les réseaux sociaux : quelle durée de vie ?
Arthur Lecomte dévoile en image ses projets de permaculture au Golf National sur son compte LinkedIn. Ses posts suscitent quelques questions, dont une particulièrement intéressante : « Combien de temps pensez-vous que cela va fonctionner avant que les strates ne s’écroulent sur elles-mêmes ? Quelles conséquences sur la surface de jeu (déformation) ? »
Voici sa réponse :
« Les principaux facteurs susceptibles de générer une déformation seraient l’érosion et/ou la décomposition de secteurs de déchets souterrains qui laisseraient place à du vide, en provoquant éventuellement un effondrement. L’érosion est un phénomène qui est suscité par le vent, les amplitudes thermiques, la pluie et la lumière. Dans les lasagnes souterraines, il y a une protection offerte par le couvert végétal dense engazonné, la compaction racinaire l’épaisseur de sable de + de 20cm et la laine de mouton qui sont des matières quasi imputrescibles. La décomposition est un phénomène qui existe et qui laisse des espaces pour de nouveaux êtres vivants lorsque les cavités se créent. Par exemple, lorsque des xylophages consomment du bois, une fourmilière prend souvent le relais en occupant l’espace disponible.
La planéité des surfaces n’a fait qu’augmenter depuis 2 ans et nous avons commencé des entretiens comparables à ceux de l’Albatros pour uniformiser. Je pense que la durabilité de l’aménagement est envisageable sur 15 ans environ si on se compare aux expériences déjà menées dans le maraîchage. »
Les résultats un an après : une biodiversité digne des forêts
Comme nous l’expliquions dans notre premier article « Le Golf National expérimente des greens et départs plus « durables » », l’objectif principal du dispositif est de construire des surfaces de jeu nécessitant moins d’intrant et moins d’eau. Les années 2022 et 2023, particulièrement sèches, ont pu mettre en avant la bien-portance du couvert végétal sur les zones en permaculture, et ce malgré l’absence d’arrosage. « Il y a déjà des aspects intéressant un an après. Certains espaces ont beaucoup besoin d’eau et ont déjà consommé beaucoup d’eau depuis début 2023. Il y a une vraie différence entre ce qu’on a aménagé (et qui n’est pas arrosé) et les surfaces traditionnelles qui ne sont pas autonomes, c’est une évidence », indique Arthur Lecomte.
Le dispositif montre également de très bonnes données au niveau de la production de biomasse, « bien plus importante que sur les surfaces traditionnelles » selon le référent. La comparaison des systèmes racinaires est également intéressante. « Sur des gazons qui étaient coupés l’année dernière à 15 mm de hauteur, nous observions sur trois mélanges différents de gazon (NDLR : agrostis stolonifera, fétuque rouge + agrostis capillaries (80:20), fétuque rouge – Ray-grass anglais (50:50)) une profondeur d’enracinement qui allait à plus de 47 cm. Nous avons même tenté de descendre la hauteur de tonte à 6 mm, et il a très bien tenu. »
Sur les images ci-dessous, deux prélèvements ont été réalisés, l’un sur un green traditionnel (à gauche) l’autre sur un green en permaculture (à droite). Les deux avec une hauteur de gazon de 5 mm. Dans l’échantillon de gazon traditionnel (à gauche), les racines sont arrachées avec le substrat donc invisibles. Dans l’échantillon de gazon en permaculture (à droite), le substrat sableux est resté en place lors du prélèvement car très sec en surface (entre 3 et 5 % d’humidité mesurée au TDR). « Les racines descendent au moins à 47 cm de profondeur, là où le sol reste humide, accueillant et durable. Nos informations ont été limitées par une tarière de 50cm arrêtée par une strate de bois dans les lasagnes de permaculture », précise Arthur Lecomte.
Mais là où les surfaces de jeu montrent des résultats bluffants, c’est au niveau de l’activité biologique du sol. « La biodiversité des sols est phénoménale, elle est même supérieure à ce qu’on peut trouver dans des forêts bien-portantes. Elle est a été mesurée à l’aide de chambre de respirométrie », explique Arthur Lecomte. Cette biodiversité extrêmement riche est le fruit de la diversité des niches écologiques accumulées en un seul endroit. « Dans une forêt, il est possible de retrouver les matériaux de mon système, mais ils seront éparpillés », compare-t-il. La respirométrie permet de mesurer les émissions de gaz carbonique émanant du sol. Elle traduit l’activité biologique présente dans le sol.
Le référent Environnement du Golf National va même plus loin en corrélant biodiversité du sol et vigueur du couvert végétal. L’activité biologique du sol semble être directement corrélée avec la qualité du gazon et la vigueur agronomique en surface. « A mon sens, les chiffres de respirométrie correspondent à des notes qu’on pourrait attribuer à la bien-portance des gazons au-dessus. Le gazon le mieux-portant avait la meilleure note de respirométrie, le moins-bien portant la moins bonne », explique-t-il.
Une biodiversité trop importante pour les trichoderma
Comme nous l’évoquions dans un précédent article, des trichoderma avaient été ajoutées au substrat. Le suivi de leur efficacité était assuré par Biophytech. Il s’est avéré que les trichoderma n’ont pas eu d’impact significatif. « Enormément d’espèces se tiennent en respect les unes avec les autres. Le résultat est très équilibré et peut difficilement, selon moi, être favorisé ou perturbé par des applications de biocontrôle », indique Arthur Lecomte. En outre, il est très difficile, dans cette diversité biologique, de sortir son épingle du jeu pour n’importe quel organisme.
Et le jeu dans tout ça ?
Si l’aspect agronomique est évidemment primordial, celui concernant la jouabilité des surfaces durables l’est tout autant. Un dispositif, aussi durable soit-il, ne saurait-être adopté par les golfs s’il n’offre pas des conditions de jeu optimales. Les départs durables ont été assez fermes pour que des essais de jeu y soient lancés. Et les retours ont été extrêmement positifs de la part des joueurs du pôle performance du Golf National.
Le seul bémol réside dans la récupération au niveau des divots. « En période caniculaire, la récupération des départs au niveau des divots n’est pas évidente car dans les premiers centimètres du sol il n’y a pas la moindre humidité. La régénération se fait bien mais en profondeur, pour des végétaux qui sont déjà en place », explique Arthur Lecomte. Un des moyens pour remédier à ce problème serait de faire du divoting avec des substrats organiques ou du rapiéçage avec des micro-placages.
Pour ce qui est de la jouabilité du green durable expérimental (disposé sur le retour de l’Oiselet, entre le dernier green du parcours et le club house), les tests se limitent, pour l’heure, à l’entrainement au putting de joueurs débutants. Bien qu’il soit déjà rendu accessible aux machines d’entretien (tondeuses, aérateurs, sableuses) destinées aux greens traditionnels, il faudra attendre l’automne prochain pour une homogénéisation en termes de planéité et de sélection variétale. Des sursemis d’agrostis, associés à des sablages progressifs (déjà initiés), permettront de faire varier la roule et la fermeté pour arriver au même niveau de jouabilité que sur green traditionnel.
La permaculture pour le foot, est-ce envisageable ?
« Ce serait faisable sous conditions. Pour l’appliquer au football je pense qu’il faudrait recréer des milieux où les stades seraient plus aérés et où il y aurait des possibilités d’interactions environnementales avec d’autres biotopes. »
A l’heure actuelle, l’optimisme est de mise pour Arthur Lecomte. « C’est extrêmement enthousiasmant, tous les compteurs sont au vert et nous encouragent à poursuivre ce qui a déjà été initié », se réjouit-il. Mais il sait également que pour être adopté, son dispositif devra faire fi des pratiques ancrées depuis de longues générations concernant la construction des surfaces de jeu. « Faire quelque chose de radicalement différent, comme c’est le cas avec le modèle en permaculture, ça demande une certaine forme d’engagement, de volonté d’aller vers l’inconnu », indique-t-il. Un inconnu qui se profile de plus en plus au fil des mois à l’horizon 2025 et l’interdiction d’utiliser les produits phytosanitaires.