Football : Faut-il adapter les terrains aux genres ?

Catégorie : Pratiques

Face à la récurrence des ruptures du ligament croisé antérieur (LCA) chez les joueuses de football professionnel, faut-il adapter les surfaces de jeu aux genres ? Arné Jaspers, scientifique du sport à la Fédération belge de football, aborde le sujet dans un article paru sur Raw Stadia.

La forte croissance du football féminin a amené plusieurs études à s’intéresser aux blessures récurrentes chez les joueuses. Sans surprise, l’attention s’est portée sur les blessures du LCA, ligament croisé antérieur. En effet, la rupture du LCA est une blessure récurrente dans le football féminin. L’UEFA, en 2022, a décidé de lancer une enquête sur le sujet avec l’aide d’experts en santé des femmes et des joueuses ayant connu cette blessure. En 2022, dans les six plus grands championnats, 57 ruptures du LCA étaient recensées d’après le média Soccerdonasite, spécialisé dans le football féminin.

Les chiffres interpellent, mais les données sont nouvelles, il y a peu d’études scientifiques et de recherches sur le football féminin compte tenu de la jeunesse de ce sport. Aux Etats-Unis, Yale Medicine, bras médical de l’Université de Yale et l’un des principaux systèmes de soins et de santé du pays, s’est penché sur le sujet. « Anatomiquement, les hommes et les femmes ne sont pas égaux. Le bassin féminin est plus large, ce qui modifie la mécanique du fonctionnement du fémur et du tibia. Cela exerce davantage de pression sur les tissus mous qui soutiennent les articulations », explique le Dr Gardner. En France, le Dr B. Rubens-Duval du CHU de Grenoble indique dans son rapport «  Rupture du LCA et Football Féminin » que les explications à ce phénomène sont multifactorielles, avec des éléments intrinsèques (facteurs anatomiques, biomécaniques, neuro-musculaires, hormonaux) et extrinsèques (chaussage, terrain, compétition, protections, météo).

En 2023, Nike, conscient des différences biomécaniques entre joueurs et joueuses, a lancé sa première paire de crampons dédiée aux athlètes féminines. Un premier pas vers une approche différenciée de la pratique sportive selon les genres. Faudrait-il aller encore plus loin en adaptant les surfaces aux athlètes féminines ? C’est là toute la réflexion du chercheur en sciences du sport de la Fédération royale belge de football, Arné Jaspers.

 

Les tractions rotationnelles au cœur des blessures du LCA

Arné Jaspers est chercheur en sciences du sport pour la Fédération royale belge de football. Il est également consultant pour l’entreprise Raw Stadia, qui propose des outils de tests du gazon ainsi qu’une plateforme donnant un aperçu de la performance des terrains. Il souligne « la nécessité d’une approche globale prenant en compte à la fois les facteurs de risque intrinsèques et extrinsèques. Cela inclut tout, depuis les caractéristiques physiologiques et les modèles biomécaniques jusqu’à l’impact des surfaces de jeu. » La surface de jeu est un facteur critique pour les blessures articulaires des joueuses. « Les preuves indiquent que la qualité et, plus particulièrement certaines caractéristiques de la surface de jeu, peuvent contribuer aux interactions complexes influençant la probabilité de blessures du LCA. Cela pourrait plaider en faveur de terrains de football adaptés au genre, susceptibles de forger un avenir plus sûr pour le football féminin », ajoute Arné Jaspers.

Le chercheur ajoute que la qualité de la surface peut avoir une influence sur les interactions joueur-joueuses/sol. C’est notamment le cas sur les tractions rotationnelles (lorsque le pied de la joueuse tourne contre la surface du terrain). « Ce facteur affecte de manière significative la cinématique et la cinétique d’un athlète, avec des implications sur le stress exercé sur le LCA. Une traction rotationnelle excessive, par exemple, peut augmenter le risque de blessures du LCA sans contact en créant des conditions biomécaniques défavorables lors des manœuvres courantes de football telles que les pivotements réactifs, les coupures ou les arrêts brusques (Stefanyshyn et al., 2010) », explique-t-il. En outre, plus il y a de tractions rotationnelles, plus il y aurait de risque de blessure. Le chercheur précise qu’au sein même des terrains naturels, le facteur tractions rotationnelles est variable dans le temps en fonction des constructions, de l’entretien du terrain, de la croissance du gazon et bien d’autres éléments encore.

« Par conséquent, le développement de terrains de football adaptés au genre devrait prendre en compte la manière dont les caractéristiques de la surface influencent les niveaux de traction en rotation et, par extension, la charge biomécanique du LCA. Cela pourrait impliquer d’ajuster le type de gazon, sa densité, la longueur de l’herbe et le matériau sous-jacent pour optimiser l’équilibre en fournissant une traction suffisante pour des performances optimales sans augmenter le risque de blessure dû à un couple excessif. L’objectif serait de concevoir une surface qui minimise les conditions biomécaniques défavorables tout en s’adaptant aux nuances physiologiques et biomécaniques spécifiques des athlètes féminines », conclut-il.

Corentin RICHARD

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