« En France, le greenkeeper n’est pas roi de son parcours »

Publié le 14 mars 2019 à 17h49

Catégorie : Pratiques

Interview de Simon Valmy, surintendant général du golf de Terre Blanche. Au programme de cette rencontre, son parcours, un retour sur son expérience, son avis sur le milieu du golf.

Après avoir rencontré Jean-Marie Casella, le directeur du golf de Terre Blanche, Gazon Sport Pro a pu également interviewer son surintendant général, Simon Valmy. Issu d’une formation agricole, ce professionnel a une vision claire de son métier. Ayant côtoyé Raymond Garouste, dont il a été le remplaçant, il se positionne lui aussi sur une approche écologique pour entretenir un terrain de sport engazonné.

Pouvez-vous nous parler de votre expérience au golf de la Martinique ?

Il y avait beaucoup de problèmes de technicité et de savoir-faire. Tout était à refaire, les moyens manquaient, mais cela m’a permis de faire beaucoup de choses, de pratiquer certaines opérations culturales, c’était une très belle expérience.

J’ai profité de la période où j’étais en Martinique pour faire toute la région des Caraïbes. C’est là que j’ai découvert deux « mondes du golf » différents, l’un plus à l’européenne et l’autre plus « Antilles », avec une approche plus américaine. En France, le greenkeeper n’est pas roi de son parcours mais par contre, aux Antilles, son travail est vraiment respecté.

Comment avez-vous évolué au sein de Terre Blanche ?

En 2010, j’ai eu une proposition pour venir à Terre-Blanche. Par la suite, je suis devenu l’assistant du greenkeeper – à l’époque, Alexandre Ragonnet. J’ai passé près de cinq ans à ses côtés et suite à son départ, on m’a proposé son poste. J’ai dû valider certaines expériences, en passant une formation dispensée par une entreprise privée. J’encourage mes consœurs et confères à faire de même, cela m’a servi. Après il y a eu la partie technique à valider par Hervé Cochard, qui était mon conseiller consultant.

Pouvez-vous nous parler des spécificités de votre travail ?

Je travaille beaucoup le sol, je fais beaucoup d’opérations mécaniques. L’hiver, c’est beaucoup de compactage et de sablage, je ne peux faire ces opérations qu’à cette période. Je fais une seule grosse opération dès que la saison est terminée, à partir de novembre. Cela représente 2 000 tonnes de sable ! Les fairways sont les surfaces de jeu que je dois améliorer : je décompacte, en croisé, avec sablage dans la foulée.

En début de saison, nous apportons de l’amendement, notamment de la fertilisation à action lente (nous travaillons avec Frayssinet). Comme j’apporte du sable neutre, il faut prendre de l’amendement pour positionner la plante. Je demande d’ailleurs un sable spécifique à la société Eurosable, en fonction de mes analyses de sol.

L’été correspond à la période de minéralisation, donc je ne fertilise pas, cela se fait naturellement. D’expérience, je trouve que les fertilisations chimiques d’été se terminent souvent en maladies. Ma dernière fertilisation a lieu au mois de mai, je reprends seulement en septembre. Je laisse le gazon faire son travail, ce qui donne de très bons résultats.

En hiver, si le drainage de certains bunkers ne fonctionnent pas bien, nous en profitons pour les rénover.

Aujourd’hui, l’expérience accumulée sur le site nous a épargné beaucoup de problèmes. Les zones sensibles qui étaient régulièrement touchées par les maladies sont aujourd’hui saines. Mais je reste toujours à l’affût, avec de nombreux points d’observation quotidiens, pour voir ce qui s’y passe heure par heure.

Enfin, l’arrosage a dû être adapté par rapport au programme de fertilisation, ce qui nous a permis d’économiser une partie de nos ressources en eau, mais aussi de nos produits phytosanitaires. Aujourd’hui, je privilégie les méthodes préventives dans les périodes stressantes. J’apporte également des biostimulants naturels.

L’eau que vous utilisez provient-elle du réseau ou de points d’eau (lacs, nappes…) ?

L’eau constitue vraiment le nerf de la guerre dans notre région. C’est un sujet pointu et qui demande une attention particulière et quotidienne. Notre méthode de travail doit être différente, afin de bien gérer la ressource dont nous disposons. On dit toujours que le golf consomme beaucoup d’eau mais nous avons des outils de pointe qui nous permettent de la gérer au centimètre près. Nous sommes en train d’installer des sondes, ainsi que des arroseurs « goutte-à-goutte » (de chez Spectrum) à répartir avec les fontainiers.

Gérez-vous également les bois du golf ?

Oui, à l’époque mon ancien greenkeeper déboisait tout, j’ai dit : « on arrête tout, ça ce n’est pas de la gestion écologique ». Nous avons des lièvres, des oiseaux, des insectes qui font leur travail. Il faut leur laisser leur espace. Nous avions des sangliers ; nous avons donc installé des clôtures électriques. La population d’oiseaux est forte (cygnes, canards). Nous sommes obligés de gérer cette population et de la réguler. Nous avons parfois des cerfs qui arrivent à passer par-dessus des barrières, ils sont dans les sous-bois mais ne font pas de dégâts. Enfin, les blaireaux et renards peuvent générer des nuisances, en creusant des terriers et en s’en prenant aux oiseaux.

Quelles semences ou variétés utilisez-vous ?

À l’époque, il y avait du pâturin, de la petite fétuque. Aujourd’hui, les graminées évoluent. J’utilise un ray-grass anglais traçant (RPR de Barenbrug), mélangé à de la petite fétuque qui me donne une bonne installation. Je sème surtout à l’automne pour très bien démarrer au printemps.

Certains disent que le fait de mettre trop d’organique, trop longtemps, produit des problèmes de vers en surface, qu’en pensez-vous ?

Quand je suis arrivé à Terre Blanche en 2010, nous n’avions pas du tout de vers. Quand nous avons commencé à travailler les sols, il y en a eu un peu et maintenant, il y en a de plus en plus. Contrairement à ce qu’on dit, je trouve que cela représente un atout. Cet hiver nous avons eu pas mal de vers de terre ; je passais tous les deux jours, j’éclatais tous les monticules qu’ils produisaient avec une brosse et mon gazon était vert pétant ! Des fournisseurs me disent parfois : « j’ai une solution pour toi afin de tuer tes vers de terre », alors que cela va tout aussi bien avec mon balai-brosse. Ainsi, je respecte la vie de mon sol.

Lorsque vous faites vos opérations de semis, quelles différences voyez-vous par rapport à il y a cinq ans ?

Cela n’a plus rien à voir, la pousse est beaucoup plus rapide, j’ai une densité parfaite qui couvre mon sol. C’est vrai que j’ai adopté une méthode de regarnissage sur toutes mes surfaces nobles – les greens – qui sont hyper attaquées, agressées par les tontes notamment. Il faut penser à les régénérer automatiquement.

Comment réagissez-vous en cas de maladie du gazon ?

Il faut être patient, il faut écouter la nature. On doit accepter son parcours comme il est avec les saisons. Par exemple cette année, j’ai eu de la fusariose sur le parcours de préparation, le Riou. C’est une maladie de saison que nous avons tenté de gérer au mieux. Je l’ai dit à mon directeur, il faut parfois s’attendre à ça. Il faut adopter une autre méthode : quand une maladie arrive, il faut la laisser passer et regarnir toute de suite derrière. C’est bien d’avoir une politique de regarnissage tout en régénérant son gazon.

Le parcours est-il fermé pendant les opérations de regarnissage ?

Oui, j’ai la chance d’avoir une direction qui se soucie de cela. Le parcours est fermé pendant quatre jours. Pour bien faire, il faudrait idéalement une semaine, mais nous avons la chance d’être bien équipés, ce qui permet d’aller très vite. Nous disposons notamment d’une regarnisseuse à disques Vredo, qui est un outil formidable, et d’un chauffeur qui sait vraiment l’utiliser, qui respecte la profondeur de ses graines. Les opérations manuelles sont les plus longues. Il faut aussi composer avec le climat.

Comment se compose votre équipe et de quels moyens matériels disposez-vous ?

Nous sommes 35 personnes au total. L’équipe mécanique se compose de trois mécaniciens et d’un apprenti, qui gèrent l’entretien courant des machines, les véhicules du resort… Sur la partie terrain, il y a un greenkeeper par parcours, qui travaillent en lien direct avec moi. Nous comptons également dans nos rangs un fontainier en chef, aidé par un adjoint et un autre fontainier. Enfin, en plus des jardiniers, nous comptons également quatre opérateurs spécifiques. J’ai tenu à ce que tous les responsables aient leur « certiphyto » (certificat individuel de produits phytopharmaceutiques).

Côté matériel, nous sommes bien lotis, je n’ai pas le droit de me plaindre. Nous disposons de sept tondeuses à fairway Toro, quatre tondeuses à rough, six tondeuses à 32-50, trois transporteurs Toro et deux John Deere. Nous avons également une dizaine de tracteurs, des épareuses forestières, une mini-pelle, une trancheuse… Je travaille dans les meilleures conditions : si d’aventure je n’obtenais pas de bons résultats, ce serait de mon propre fait !

De quoi êtes-vous le plus fier sur votre parcours ?

J’ai imposé un style de travail, une méthodologie organique. Quand les fournisseurs d’engrais viennent me voir, je suis fier de leur dire : « j’ai des résultats sans, je continue, je ne changerai pas ma méthode ». J’ai instauré une souplesse de travail pour tout le monde. En saison, cela me permet de sauter une tonte la semaine. C’est très important, je tonds le lundi et le vendredi. Je n’ai plus ces pousses excessives provoquées par l’usage d’engrais chimiques, qui m’obligeaient par la suite à faire encore plus de travail mécanique.

Comment a évolué la profession les dix dernières années ?

Ce qui me marque surtout, c’est que beaucoup de golfs font de moins en moins confiance aux greenkeepers, leur préférant des sociétés sous-traitantes. Notre métier est un peu délaissé, même si une partie d’entre nous tirent leur épingle du jeu, car ils sortent du lot. Après, il faut être en mesure de se remettre en question pour évoluer. Aujourd’hui, nous ne travaillons plus comme les anciens travaillaient, notamment au niveau des produits phytosanitaires, avec des unités d’azote pouvant aller jusqu’à 200 voire 300…

Comment envisagez-vous l’avenir ? Que faudrait-il faire pour que le métier redevienne plus attrayant ?

Il faudrait plus de dynamisme ! Il y a matière à se remettre en question encore une fois. Il faut développer la partie écologie : cela ne peut être que bénéfique, ne serait-ce qu’en termes de communication ! Cela requiert d’adopter un rôle de manager, d’être plus visionnaire.

Aujourd’hui, dans la région, quel golf travaille comme vous ?

Je n’en connais pas. Mes collègues ne sont pas dans cette optique, ils ne sont pas prêts à s’embêter. C’est dommage.

Une fois arrivé à un tel poste dans un golf comme Terre Blanche, quelle évolution de carrière pourriez-vous envisager ?

C’est la question que je me pose ! Pourquoi pas travailler pour un petit golf qui aurait besoin d’évoluer ?

Rédaction GSPH24

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