Impact des syringes sur la température foliaire du gazon
Publié le 16 août 2019 à 07h20
Catégorie : Pratiques
Romain Giraud, chargé de recherche chez Natural Grass et créateur du site La clinique du gazon, est l’auteur d’un nouvel article consacré au syringe – sujet que nous avions abordé ici – qui tente d’évaluer l’impact réel de cette technique sur la température foliaire. Avec l’autorisation de l’auteur, voici l’article reproduit ici dans son intégralité, accompagné de vidéos et d’une bibliographie.
Introduction
Les syringes sont des légers arrosages effectués pour rafraîchir la surface foliaire du gazon lors des fortes chaleurs de la période estivale. Cette pratique assez intuitive est largement utilisée sur les golfs et terrains de sports et recommandée par divers consultants et autres conseillers. Quel est leur réel impact sur la température foliaire du gazon et en particulier sur terrain de sports ? La clinique du gazon tente de répondre à cette question à travers une synthèse des études scientifiques réalisées sur le sujet et une vidéo montrant les résultats de mesures effectuées sur un stade de haut niveau lors des épisodes de canicules de l’été 2019.
Syringe : une définition peu claire
La définition est peu précise. Dans la littérature scientifique depuis les années 60 jusqu’aux années 80, un syringe pouvait être tout arrosage utilisé en journée variant de 1.5 à 6.3 mm1–3. En pratique, l’utilisation du terme « syringe » devrait être limitée à des arrosages entre 0.2 et 1 mm (1 à 2 tours d’arroseurs) sans quoi le terme adapté devient plutôt « arrosage ». En effet, à partir de 1 mm, l’eau appliquée à de forte chance d’augmenter l’humidité du substrat et apporter de l’eau aux racines alors que le but du syringe est de limiter son application aux feuilles et éventuellement à la surface du sol dans le but d’en diminuer la température lors des journées de fortes chaleurs ou l’évaporation est élevée.
Syringe et littérature scientifique : très peu d’effet sur des gazons sans stress hydrique
Quelques études scientifiques ont tenté de déterminer l’impact des syringes sur le gazon depuis les années 60. La plupart des études ont été menées sur green de golf et agrostide, espèce très sensible au manque d’eau avec une tendance à former des zones sèches ou « dry patch ».
Duff & Beard4 ont étudié l’impact des syringes sur agrostide stolonifère en 1966 appliqués en milieu de journée. Le « syringe » était de 6.3 mm d’eau (ce qu’on peut largement considérer aujourd’hui comme un cycle d’arrosage) et son impact sur la température de la canopée était limité à une diminution de 1 ou 2 degrés seulement. L’absence de témoin rend difficile toute vraie interprétation. Selon les auteurs, le syringe permet de diminuer la température maximale atteinte plus que la température moyenne.
J. M. Dipaola3 a également étudié l’impact des syringes (2 syringes par jour de 0.05 à 5.5 mm) sur la variété Penncross sur green de golf en 1984. En l’absence de stress hydrique (gazon pourvu correctement en eau), la température foliaire de l’agrostide n’est impactée significativement que pendant une heure après le syringe. L’auteur conclue sur l’inefficacité de la pratique.
Peacock & Bennett5 tentent également de vérifier l’impact du syringe (1 mm d’eau à 13h00) sur agrostide et green de golf en 1996. Le syringe effectué réduit les températures foliaires mais son effet est très limité dans le temps avec un retour aux températures initiales 30 minutes seulement après l’apport d’eau. La qualité de l’agrostide est toutefois meilleure dans les parcelles par rapport aux parcelles témoins. Les auteurs concluent sur la capacité des syringes à augmenter le potentiel hydrique de la plante, la photosynthèse et la croissance. Selon eux, la plante est également moins sensible aux maladies et aux piétinements.
Elisabeth Guertal6 étudie également le même procédé sur agrostide stolonifère et green de golf en 2003. Les syringes diminuent la température maximale du sol atteinte à 1.3 cm mais augmente la durée pour laquelle la température du sol est supérieure à 27°C. Ils n’augmentent également jamais la profondeur racinaire et pire, engendrent une diminution dans certains cas. Les ventilateurs sont plus efficaces pour refroidir la température foliaire et l’utilisation conjointe des syringes et ventilateurs permet la plus forte diminution des températures.
Danneberger & Gardner2 effectuent le même type de travail en 2004 sur agrostide tondue à hauteur de fairways de golfs. Ils concluent sur l’absence d’efficacité de syringes quant à la diminution des températures (0.5 à 1.5°C) au-delà de 10 minutes mais remarquent cependant une efficacité plus élevée pour des températures de l’air supérieures à 31°C. Sur gazon présentant des signes de stress hydrique, l’impact des syringes est évidemment bénéfique avec de fortes diminutions des températures foliaires (diminution jusqu’à 13.8°C des températures foliaires). En effet, les températures foliaires augmentent largement lors d’un stress hydrique car le gazon ferme ses stomates ce qui limite ses possibilités de régulation par le phénomène de transpiration2.
En 2016, l’université du Nebraska tente également d’évaluer l’impact d’arrosages manuels sur agrostide et green de golf. Une vidéo intéressante permet de visualiser les résultats sur des gazons irrigués selon différentes modalités (0 à 80% de l’ETP). La conclusion est encore la même : l’impact est très limité dans le temps.
Enfin, une étude plus récente (2018)7 menée à l’université de Rutgers sur agrostide et green de golf montre que des syringes de 0.8 à 1.3 mm effectués toutes les heures à partir de la fin de matinée permettent de diminuer la température foliaire de 2.2 à 3.3°C. Ceux-ci sont déclenchés à partir du moment où la température de l’air dépasse 29°C. Le vent a un effet bénéfique sur la diminution des températures foliaires lors des syringes. Les auteurs mettent toutefois en garde sur l’utilisation des syringes toutes les heures car cette pratique augmente l’humidité du sol (de quelques pourcents) et par conséquent le risque potentiel d’apparition de champignons pathogènes.
La synthèse des différentes études citées permet de dire que :
L’impact des syringes sur agrostide et sur green de golf est bénéfique lorsque le gazon présente des signes de stress hydrique.
Sur un gazon irrigué convenablement, l’impact des syringes est mineur car il diminue de quelques degrés seulement la température et sur une durée très limitée (inférieure à 20 minutes dans le meilleur des cas).
Seuls des syringes très réguliers (toutes les heures) permettent de maintenir cette diminution en augmentant toutefois le risque de développement de champignons pathogènes.
Sur d’autres espèces comme le raygrass anglais et le pâturin des prés largement utilisés sur terrains de sports, aucune étude n’existe vis-à-vis des syringes. La clinique du gazon a donc tenté d’étudier l’impact des syringes sur la température foliaire de ces espèces de gazon sur un stade fermé.
Impact des syringes sur la température du gazon dans un stade fermé
Matériel et méthode
L’essai a été mené sur un stade de haut niveau dans une enceinte fermée lors d’une des semaines de canicule de l’été 2019. Le gazon est composé de raygrass anglais et pâturin des prés.
Température de l’air
La température de l’air est de 35.7°C durant l’essai.
Température du sol
La température du sol est de 36 à 38°C en surface (moins de 1 cm) et de 31 à 32°C à 7-8 cm.
Humidité volumique du substrat
La semaine précédant l’essai, l’humidité volumique du substrat était maintenue entre 19 et 25% (mesures effectuées à l’aide d’une sonde d’humidité capacitive) garantissant l’absence de stress hydrique du gazon.
Températures initiales de la surface foliaire du gazon
Au niveau de la surface foliaire, les températures varient entre 31 et 45°C suivant la localisation en plein soleil avant le syringe. Les mesures sont effectuées avec une caméra thermique. La température est estimée via le rayonnement infrarouge que le gazon émet et représente la seule mesure fiable en ce qui concerne le gazon lorsqu’il est en plein soleil.
Système d’arrosage utilisé
Les arroseurs utilisés sont des Hunter I40. La température foliaire est mesurée pendant plusieurs minutes après 1 à 4 passages d’arroseurs avec une durée de 2 minutes entre chaque passage d’arroseur, le temps que celui-ci effectue sa rotation.
Résultats
Chaque passage d’arroseur permet de diminuer de 2 à 6 degrés la température foliaire suivant la zone. Cet effet ne dure cependant que quelques dizaines de secondes avant un retour aux températures initiales. Ce résultat va dans le sens de l’absence d’efficacité des syringes sur la diminution des températures foliaires.
La vidéo ci-dessous présente la méthodologie et les mesures effectuées lors de l’essai.
Conclusion
Les syringes sont largement utilisés aujourd’hui sur les terrains de sports pour rafraîchir le gazon lors des semaines de canicules où la température de l’air dépasse les 30°C.
En pratique, les syringes ont un effet très limité sur la diminution de la température foliaire. Cet effet ne dure que quelques dizaines de secondes à quelques minutes avant de revenir aux températures initiales.
Réalisés régulièrement dans la journée, ils maintiennent toutefois une humidité de surface propice au développement de certains champignons pathogènes lors de la période estivale. Les syringes sont donc à déconseiller lors des périodes de canicules sur un gazon pourvu correctement en eau.
Bibliographie
Duff, D. T. & Beard, J. B. (1966). Effects of Air Movement and Syringing on the Microclimate of Bentgrass Turf. Agronomy Journal 58, 495 https://doi.org/10.2134/agronj1966.00021962005800050012x
Danneberger, K. & Gardner, D. (2004). Syringing can dramatically affect canopy temperature. Turfgrass Trends Juin 2004, 63–64 http://archive.lib.msu.edu/tic/golfd/article/2004jun63.pdf
DiPaola, J. M. (1984). Syringing Effects on the Canopy Temperatures of Bentgrass Greens. Agronomy Journal 76, 951 https://doi.org/10.2134/agronj1984.00021962007600060020x
Duff, D. T. & Beard, J. B. (1966). Effects of Air Movement and Syringing on the Microclimate of Bentgrass Turf. Agronomy Journal 58, 495 https://doi.org/10.2134/agronj1966.00021962005800050012x
Peacock, C. H. & Bennett, B. W. (2002). Effects of syringing on summer stress performance of creeping bentgrass (Agrostis Stolonifera). Eric Thain, ed. Science and Gold IV : Proceedings of the World Scientific Congress of Golf. Routledge, London 610–619
Guertal, E. A., van Santen, E. & Han, D. Y. (2005). Fan and Syringe Application for Cooling Bentgrass Greens. Crop Science 45, 245–250 https://doi.org/10.2135/cropsci2005.0245
Huang, B., Rossi, S. & Burgress, P. (2018). Syringing for turfgrass canopy cooling. Golf Course Management GCM Online, https://www.gcmonline.com/course/environment/news/syringing-turfgrass-canopy
Romain Giraud
crédit photo: Clinique du gazon