Justine Perchat (Hippodrome de Pau) : « Aujourd’hui, la base de notre métier est la sécurité »

Publié le 18 mars 2025 à 10h00

Catégorie : Pratiques

Justine Perchat, 26 ans, est cheffe de piste à l’Hippodrome de Pau. Passionnée par les productions végétales et les chevaux, elle veille toute l’année à l’entretien et la préparation des pistes qui accueillent les courses en hiver. Elle nous dévoile les coulisses de son métier et les particularités de l’entretien des pistes paloises.

Pouvez-vous vous présenter et retracer votre parcours ?

Bonjour, je m’appelle Justine Perchat, j’ai 26 ans et je suis la cheffe de pistes de l’Hippodrome de Pau depuis septembre 2023. J’ai fait un DUT Agro puis une école d’ingénieur en agricultures à l’ESA d’Angers, en apprentissage chez France Galop. J’étais sous la responsabilité de Jean-Guillaume d’Orglandes à l’Hippodrome de Saint-Cloud, mais j’ai également travaillé sur les pistes de Longchamp et Auteuil pendant 3 ans. Je travaillais sur les pistes et plus particulièrement sur leur souplesse, je suivais également un protocole expérimental sur plusieurs parcelles d’essais.

J’ai mené mon mémoire d’ingénieure avec la Fédération Nationale des Courses Hippiques et France Galop. L’objectif était de faire une étude de faisabilité sur la transition Zéro Phyto, et surtout de voir ce qu’il se passait en France. J’ai pu échanger avec des professionnels d’une soixantaine d’hippodromes, dont celui de Pau, qui cherchait à ce moment quelqu’un à former. C’est ainsi que j’ai rejoint l’équipe de Pau en 2021, à la sortie de mon école, d’abord dans un rôle de chargée de missions, où j’ai beaucoup appris sur le métier, puis comme cheffe de pistes.

Dans une école d’ingé agro, vouloir travailler sur les hippodromes était plutôt atypique mais rentrait tout à fait dans le programme production végétale et agroécologie. Ç’a été une très belle opportunité d’intégrer France Galop puisque j’étais une amoureuse des chevaux, mais je ne connaissais pas les courses. Grâce aux personnes que j’ai côtoyées durant mon apprentissage, je me suis passionnée pour l’entretien des pistes.

 

Quel est le rôle du ou de la cheffe de piste ? Quelles qualités faut-il pour ce métier ?

Le chef de piste doit gérer la conduite et la gestion techniques des gazons de l’hippodrome mais aussi de la piste en sable fibré et tous les espaces événementiels qui ne touchent pas aux tribunes. Il a aussi comme responsabilité la gestion des travaux des bâtiments techniques, la réfection des obstacles, l’encadrement du personnel et le bon déroulement des courses, en amont et lors des jours de courses. Sa mission principale est d’assurer des conditions optimales pour le bon déroulement des courses.

Ce métier exige de bonnes connaissances en agronomie, en bonne adaptabilité. Il faut faire preuve de bon sens, être pluridisciplinaire, toucher à tout et avoir le gout du challenge ! Les années se suivent mais ne se ressemblent pas : ce qui nous a donné raison l’année dernière peut nous donner tort cette année.

 

Quelles sont les particularités de l’Hippodrome de Pau ?

C’est un hippodrome qui a l’âme de l’obstacle. A Pau nous accueillons les 27 réunions de course sur deux mois et demi, entre début décembre et mi-février, avec un meeting très intense. Nous accueillons les trois disciplines de l’obstacle (haies, steeple, cross) ce qui représentent environs 1300 partants, ainsi que du plat, sur piste en sable fibré. Le mois de janvier est particulièrement intense avec trois réunions de courses par semaine. Il y a beaucoup de remise en état entre les courses. La piste peut souffrir énormément en fonction des conditions météorologiques, il faut la travailler toute l’année pour assurer la régularité des courses.

La partie centre d’entrainement, dont je ne suis pas responsable mais avec qui je travaille, me permet de découvrir de nouvelles choses.

 

Vous devez composer avec des conditions climatiques difficiles…

Nous sommes dans une région particulièrement pluvieuse, avec des précipitations annuelles d’environ de 1100 mm par an (1400 mm à l’hippodrome en 2024). Mais il peut y avoir de gros écarts de températures, même sur une journée. En hiver il faut gérer la pluviométrie et être capable de courir même si la veille nous prenons 30 à 60 mm de pluie. Nous avons besoin d’avoir des pistes qui se ressuient très vite. Lorsque l’hippodrome a été créé, les anciens ne se sont pas trompés, les pistes sont extrêmement porteuses, elles permettent d’accueillir ces courses en condition hivernale. En revanche, elles se recompactent très vite derrière. C’est à la fois un avantage et un inconvénient.

Nous devons aussi gérer le gel, tout particulièrement sur les appels/réceptions ou les croisements, des zones pelées peuvent être croutées et accidentogènes avec le gel. Nous devons parfois les bâcher entre certaines réunions de courses.

Aujourd’hui, la base de notre métier est la sécurité. Nous devons proposer des pistes régulières avec un gazon sain et dense tout en réduisant au maximum l’accidentologie.

Nous sommes très dépendants de la météo. Il faut que les pistes aient une grosse capacité de régénération au printemps suivant pour pouvoir passer un bon été et préparer le meeting suivant sereinement. Les pistes paloises sont faites pour courir l’hiver, mais il faut les travailler toute l’année.

 

Comment vous organisez-vous pour avoir une piste opérationnelle et résiliente l’hiver ?

Après le meeting, nous avons trois mois de remise en état des pistes. Nous commençons par évacuer les déchets de l’hiver, notamment sur les cordes, où le peloton de chevaux passe, afin de repartir sur des bases saines. C’est très important. Ensuite, nous portons beaucoup d’attention aux zones de croisement et des appels-réceptions, qui sont les zones les plus abimées.

Le travail mécanique des pistes est notre principal axe de travail. Nous avons la chance de ne pas courir pendant 8-9 mois, nous en profitons pour travailler le sol en profondeur et traiter les zones à problèmes.

Concernant les graminées, nous faisons deux regarnissages par an dont un en 100 % Ray-rass avant l’hiver. Pour l’été, nous intégrons d’année en année des fétuques élevées, des paturins des prés, afin d’apporter de la diversité pour nous permettre de passer l’été sereinement avec un arrosage minimal. Le gazon doit simplement survivre l’été.

L’été, la hauteur de coupe est maintenu à 10-12 cm pour que le gazon garde de la fraicheur au pied. Nous tondons une fois par semaine voire pas s’il fait trop chaud. En course nous sommes environ à 14 cm. Notre dernière tonte intervient fin novembre début décembre si les tracteurs peuvent aller sur la piste.

 

Quelles sont les principales opérations mécaniques que vous faites et à quelle fréquence ?

Nous sommes très bien dotés en matériel, ce qui nous permet de bien travailler aussi bien sur l’hippodrome que le centre d’entrainement. S’agissant de l’entretien courant des pistes, il y a les tontes, le passage régulier du peigne à gazon afin de réduire la quantité de feutre sur la piste et de gérer les adventices. Nous décompactons les appels-réceptions au moins une fois par mois. En sortie de meeting nous passons le Recycling Dresser dans ces zones afin décompacter et de faire ressortir les fines.

Nous avons un Actisol qui permet de travailler les pistes en réel profondeur une fois par an si possible. Nous apportons en moyenne 4 tonnes de sable par hectare par mois afin d’améliorer la texture de notre sol. En général, à l’année nous passons deux fois le Verti-drain, une à deux fois le Shockwave. Les pistes sont aérées en permanence, au moins une fois toutes les deux semaines avec un aérateur Noblat. Notre principale arme est le travail du sol et l’aération constante.

 

Comment contrôlez-vous la qualité de vos pistes ?

Comme indiqué dans le cahier des charges des hippodromes, nous devons communiquer un état du terrain aux socioprofessionnels et aux parieurs. Nous utilisons le pénétromètre pour donner un indice de souplesse du sol. A l’hippodrome de Pau nous courons principalement sur des pistes lourdes ou collantes. En parallèle, nous avons deux systèmes de sondes : des sondes fixes et une sonde portative. Le plus important est de connaitre ses pistes et ses zones à problèmes et d’agir en conséquence.

Qualité de pistes signifie également proposer un terrain le moins dégradé possible et une bonne remise en état entre les courses par les hommes de pistes. Nous préservons des bandes de gazon en début de meeting grâce à un système de cordage pour offrir une bande de gazon frais en deuxième partie de meeting. Ces lices mobiles nous permettent d’optimiser la largeur de piste utilisée et conditionne déjà notre printemps.

 

Avez-vous constaté une évolution de l’entretien des pistes avec le dérèglement climatique ?

A Pau, nous avons beaucoup de pluie mais il peut y avoir des grosses périodes de sécheresse comme en 2022. Depuis plusieurs années des travaux de récupération d’eau et d’agrandissement de notre capacité de stockages sont en cours.

Aujourd’hui, nous faisons évoluer nos pratiques. L’objectif ici est de bien travailler au printemps pour avoir un gazon sain et dense l’été. Nous réduisons au maximum les apports d’eau l’été à l’hippodrome. C’est différent sur le centre d’entrainement ou d’autres hippodromes, où les pistes doivent être arrosées pour être souples. C’est d’ailleurs un gros questionnement dans la filière : nous arrosons parfois pour la souplesse du sol et pas pour la qualité du gazon. En parallèle, nous faisons des tests sur des parcelles d’essais, à notre échelle, avec différents produits et différentes techniques. Du fait de nos hauteurs de coupe, nous sommes moins touchés par les maladies même si elles sont de plus en plus présentes sur certaines zones fragiles. Nous arrivons à vivre avec et à ne pas traiter, idem pour les adventices. Cela fait trois ans que nous sommes en Zéro Phyto. Nous effectuons un travail du sol colossal. C’est selon moi le levier numéro 1.

 

Etant donné votre engagement dans la démarche Zéro Phyto, la récente évolution de la Loi Labbé ne vous touche pas énormément ?

Cela ne changera pas fondamentalement nos pratiques, mais nous pourrions être amenés à appliquer un traitement en cas de réelle nécessité. Surtout que nous ne savons pas comment les maladies vont évoluer. Aujourd’hui nous ne sommes pas impactés, mais nous pourrons l’être demain. A Pau le Zéro Phyto nous tient à cœur, l’Hippodrome est engagé dans plusieurs labels : EQUURES, Fair Play for Planet…

 

Quelles sont vos plus grosses craintes concernant l’avenir des pistes hippiques ?

La gestion de l’eau. Je pense qu’il y a, dans la filière, un réel besoin de former et d’accompagner concrètement les hippodromes qui vont se retrouver dans l’impasse le jour où nous n’aurons plus le droit à rien. Il y a des pistes d’entrainement qui sont utilisées toute l’année de façon intensive, il y a peu de manœuvres techniques. Il ne faut pas que certains hippodromes soient dans l’inconnu, sans leviers à leur disposition, aussi bien techniques que financiers, que cela concerne la gestion de l’eau ou les contraintes de la loi Labbé.

 

Quelle est votre vision sur le métier de cheffe de piste ?

Nous faisons partie des métiers de l’ombre. Nous sommes responsables de l’outil de travail numéro 1 des chevaux et des socio-professionnels. Notre métier participe en grande partie à la régularité des courses en France. Les socio-professionnels en sont conscients. Nous communiquons beaucoup aujourd’hui avec les entraineurs sur nos travaux, leurs raisons, les problématiques rencontrées sur les meetings. C’est un métier méconnu. La meilleure reconnaissance sur les pistes est qu’on passe un bon meeting avec le moins d’accidentologie possible. C’est d’ailleurs le cas cette année avec un nette amélioration de nos statistiques de chute, significativement en baisse.

 

Quel message souhaitez-vous faire passer aux gens qui découvrent votre métier et seraient intéressés ?

Il faut venir voir. Parfois nous ne nous rendons pas compte du travail qu’il y a derrière les courses. C’est un métier passion, un métier complet où nous pouvons apprendre pleins de choses tous les jours. Il faut avoir conscience que tout ce que nous faisons est pour le bon déroulement des courses et la sécurité des chevaux et jockeys.

 

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