La recherche variétale de DLF aux Etats-Unis
Publié le 4 octobre 2023 à 07h00
Catégorie : Recherche & innovation
Etienne Abélard, sélectionneur junior gazon chez DLF, a eu l’occasion de passer 3 mois dans une station de recherche R&D du semencier dans l’Oregon. Il nous raconte ce que cette expérience lui a appris et quelles différences il peut y avoir entre la recherche variétale en France et aux Etats-Unis.
Bonjour Etienne, dans quel cadre êtes-vous allé aux Etats-Unis ?
En 2023, DLF a initié un nouveau programme d’échange nommé « Talent Exchange » au sein de l’ensemble de sa division de recherche et développement. L’objectif principal de ce programme est de renforcer les synergies mondiales au sein de l’entreprise. Dans ce cadre, j’ai eu l’opportunité de participer à ce programme d’échange et de passer trois mois au sein d’une des stations de R&D de DLF aux États-Unis.
Le but principal de cet échange est de collaborer avec des collègues d’une autre station de R&D à travers le monde pour favoriser le partage de connaissances et de compétences, et ainsi bénéficier mutuellement de l’apprentissage réciproque. De plus, ces occasions d’acquérir de nouvelles connaissances et compétences sont précieuses pour stimuler la créativité et le développement de solutions innovantes au sein de DLF.
Peux-tu nous présenter la station de recherche R&D d’Oregon (combien y en a-t-il aux Etats-Unis ? quelles sont ses spécificités à elle par rapport aux autres ?)
Aux États-Unis, DLF dispose de stations de recherche et développement (R&D) réparties dans trois États : l’Oregon, le Kentucky et le Wisconsin. Cette diversité de localisations vise à améliorer l’efficacité de la sélection des variétés de gazon en exposant le matériel génétique à différents types de stress, qu’ils soient d’origine biotique ou abiotique.
La principale station de R&D de DLF se trouve en Oregon, au cœur de la vallée de la Willamette, considérée comme le berceau de la production de graminées aux États-Unis. Cette station de sélection s’étend sur 25 hectares et compte deux sélectionneurs spécialisés en gazons et fourrages, ainsi que deux assistants de recherche et deux techniciens. Elle bénéficie également d’une équipe saisonnière pour les opérations de récolte et de battage. En ce qui concerne la partie gazon, cette station est chargée de la sélection des espèces telles que le ray-grass anglais, la fétuque élevée, le pâturin des prés, la fétuque rouge et l’agrostide. De nombreux essais y sont réalisés, portant sur des facteurs tels que le piétinement, la tonte rase, l’ombrage et la sécheresse, dans le but de caractériser au mieux le matériel génétique et de sélectionner des variétés de gazon répondant à des critères spécifiques.
La première station d’essais gazons et fourrages se situe dans le Kentucky, bénéficiant de conditions pédoclimatiques idéales. Les hivers y sont frais et humides, tandis que les étés sont chauds et humides, avec une humidité constamment élevée (80-100%). Cette humidité élevée favorise le développement de maladies sur les gazons, telles que le Gray Leaf Spot ou le Brown Patch. Cette station permet ainsi à DLF de sélectionner de nouvelles variétés de gazon résistantes à ces maladies émergentes, bénéficiant ainsi d’une longueur d’avance pour le marché en France et en Europe.
La deuxième station d’essais gazons et fourrages est située dans le Wisconsin, au nord des États-Unis. Cette station comprend un sélectionneur spécialisé en fourrages et un technicien d’essais. Elle se concentre sur la sélection de gazons adaptés au froid, à la couverture neigeuse et à la fusariose froide. Les hivers y sont très froids, avec des températures atteignant environ -30°C, tandis que les étés sont chauds, avec des températures avoisinant les 30°C.
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Qu’est-ce qui t’a surpris lors de ton arrivée ?
Lors de mon arrivée à la station de sélection en Oregon, j’ai été surpris par les différences phénotypiques entre le matériel américain et celui que je connaissais en Maine-et-Loire. Les caractéristiques du matériel américain varient considérablement entre ces deux régions. En Maine-et-Loire, les pelouses américaines présentent un phénotype marqué par une couleur verte foncée, une faible densité en été et des feuilles peu fines. En revanche, en Oregon, le phénotype semble moins vert foncé, mais plus dense et avec des feuilles plus fines.
Une autre surprise pour moi a été le système de protection des obtentions végétales pour l’inscription et la commercialisation des variétés de gazon. Alors qu’en Europe, les études de Distinction Homogénéité Stabilité (DHS) sont menées par des organismes officiels, aux États-Unis, les études de Plant Variety Protection (PVP) sont effectuées par les entreprises de sélection elles-mêmes. Par conséquent, chaque année, DLF est chargé d’évaluer plus d’une trentaine de critères sur les variétés en cours d’inscription au NTEP ainsi que sur les variétés témoins. Cette tâche représente une charge de travail considérable, car les évaluations PVP génèrent plus de 80 000 notes chaque année.
Quelles sont les principales différences entre la recherche variétale française et américaine ?
Les démarches de sélection des variétés de gazon aux États-Unis et en France présentent des similitudes marquées. Elles suivent généralement un processus comprenant plusieurs étapes, telles que la phase en pépinière visant à maximiser la diversité génétique et à sélectionner les meilleurs géniteurs, la phase d’essais gazon pour évaluer l’aptitude générale à la combinaison des géniteurs en testant leurs descendants en management gazon, et enfin, la phase de poly-croisement des meilleurs géniteurs en vue de créer de nouvelles variétés.
La principale différence entre les approches françaises et américaines réside dans le processus d’inscription des nouvelles variétés. Aux États-Unis, toute nouvelle variété de gazon doit être enregistrée au NTEP (National Turfgrass Evaluation Program) pour être autorisée à la commercialisation sur le territoire américain. De plus, ce processus d’inscription ne peut être effectué qu’une fois tous les six ans. Par conséquent, les schémas de sélection sont généralement axés sur l’année de dépôt des nouvelles variétés en vue de répondre aux exigences de ce système d’enregistrement spécifique.
Les problématiques sont-elles les mêmes (concernant le zéro phyto notamment ?)
Les problématiques environnementales ne sont pas les mêmes en France et aux États-Unis. En ce qui concerne le « Zéro phyto », ce n’est pas un terme abordé aux États-Unis et l’utilisation de produits phytopharmaceutiques demeurre bien ancrée dans la culture américaine, en accord avec l’idée de maintenir des pelouses américaines vertes et bien entretenues. Cependant, il subsiste encore des préoccupations liées au pâturin annuel, une espèce indésirable qui persiste dans certains Etats.
En ce qui concerne l’irrigation, une partie de la population américaine prend de plus en plus conscience du changement climatique et fait preuve de plus de précaution dans l’utilisation des ressources en eau, en réduisant voire en supprimant l’irrigation de leurs gazons en été. Cela se manifeste notamment en Oregon, où l’on peut observer des bordures de trottoirs ou de jardins jaunies en raison des conditions estivales. De plus, le changement climatique entraîne une migration vers le Nord des espèces de gazon adaptées aux saisons chaudes, comme le Bermudagrass, le Zoysia ou le Kikuyu, qui sont plus résistantes aux fortes chaleurs estivales.
Y a-t-il des procédés techniques novateurs utilisés dans le processus de sélection variétale aux Etats-Unis ?
Non, il n’y a pas de procédés techniques novateurs utilisés dans les schémas de sélection de gazon aux Etats-Unis. Le processus de sélection repose essentiellement sur la sélection phénotypique récurrente, similaire à celle utilisée en France et en Europe. Cette méthode de sélection implique une sélection du meilleur matériel génétique générations après générations pour augmenter la fréquence des caractères souhaités au sein d’une population de sélection.
Que vous a appris cette expérience ?
Cette expérience s’est avérée très enrichissante à la fois sur le plan professionnel et personnel. Elle m’a permis d’acquérir une meilleure compréhension du marché du gazon américain, aussi bien professionnel qu’amateur. De plus, elle m’a donné l’opportunité de me familiariser avec le germplasm américain, ce qui facilitera une sélection plus efficace en France. Notamment, j’ai eu la chance de participer aux Field Days de l’Université de Rutgers, située dans le New Jersey, où j’ai pu échanger avec des enseignants-chercheurs, des doctorants et des professionnels du gazon. Cette expérience m’a également incité à sortir de ma zone de confort et à remettre en question nos méthodes de sélection en France. Plus précisément, cela m’a ouvert les portes à l’apprentissage de nouvelles méthodes de sélection pour les gazons, telles que la récupération de talles résistants, dans des essais gazon attaqués par des maladies ou dans des essais gazon après une sécheresse. Cela permettra d’améliorer plus efficacement les familles en cours de sélection pour ces critères de sélection.