Labosport revient sur le suivi des pelouses de la Coupe du Monde 2023
Publié le 15 décembre 2023 à 07h00
Catégorie : Pratiques
Quelques mois après la Coupe du Monde 2023, Jean-Pierre Chastin, agronome chez Labosport, chargé du suivi des pelouses de la compétition, a accepté de revenir sur cet événement majeur, les missions précises de Labosport pour suivre les pelouses, les problématiques rencontrées, « l’incident » du stade Pierre Mauroy et plus globalement la fierté de participer à cet événement.
Pouvez-vous présenter Labosport ?
Labosport est un laboratoire de contrôle en surfaces sportives qui depuis plus de 30 ans contrôle, évalue et diagnostique des surfaces sportives. Nous sommes aptes à contrôler toutes surfaces sportives et pour tous les sports. Nous avons les accréditations de la plupart des instances mondiales (FIFA, World Rugby, World Athletics…) Labosport est un groupe mondial, leader dans son domaine avec plus de 17 implantations dans le monde. Des entreprises de Labosport group avaient déjà supervisé les 2 dernières Coupe du Monde (CDM) en Angleterre et au Japon.
Quelles ont été, concrètement, vos missions durant la Coupe du Monde de Rugby ?
Labosport France a été retenu, lors d’un appel d’offres, par l’organisateur de la coupe du monde (GIP France 2023) pour une mission d’audit, de définition et de suivi des actions de mise en conformité, de suivi de qualité avant et pendant la CDM et de pilotage des mesures correctives nécessaires sur les 9 terrains où ont été disputés les 48 matchs de la CDM.
Une première étape début 2023 consistait à faire une évaluation documentaire exhaustive des dossiers terrains. Plans, type de pelouse, réseaux de drainage, arrosage, travaux réalisés et prévus, entretien, moyens humains et matériels, calendrier des travaux y étaient détaillés.
Seconde étape : environ 1 mois à 1 mois ½ avant le début de la CDM, une première évaluation de performances des terrains sous la forme d’un scoreplay spécifique à la CDM qui comprend à la fois les performances sportives, agronomiques et sécuritaires afin d’avoir un premier état des lieux et définir un premier niveau de mesures correctives et un plan d’amélioration à mettre en œuvre par les gestionnaires de stade.
Troisième étape : 10 jours environ avant le premier match, sur chaque site, un second scoreplay d’évaluation a été réalisé afin de mesurer les progrès et de définir les actions correctives. Un troisième scoreplay a eu lieu également sur les 2 terrains (Marseille et Stade de France) recevant les quarts de finale.
En plus de cela, des visites en gazonnière des pelouses mises en culture pour les sites ont eu lieu. La rédaction d’un manuel pelouse à destination des gestionnaires des pelouses a été effectuée pour définir les exigences au niveau des performances sportives, agronomiques et sécuritaires attendues, ainsi que sur les schémas de tonte, les tracés des lignes de jeu et l’effacement des lignes football… Une documentation complète de suivi a également été réalisée avec des fiches de pré et post-inspection des terrains. Des fiches incident ont été mises en place afin que les gestionnaires nous informent d’incident et de leur gravité et cela pouvait déclencher une visio ou une visite d’urgence.
Tous les matchs ont été visionnés et des rapports de fin de match ont été envoyés immédiatement à France 2023 avec des actions à mettre en place et des échanges par visio avec les gestionnaires des pelouses. Une hotline 24/7 était également disponible. Toutes ces actions ont été mises en place afin que nous apportions des éléments factuels et tangibles à France 2023 sur l’état des pelouses et leur évolution au cours de la compétition.
Pouvez-vous présenter les pelouses de la compétition (technologies, graminées, sols) ?
Tous les terrains avaient des substrats élaborés renforcés (communément appelés hybrides) mais avec différentes technologies. Sur les 9 terrains, 6 ont été plaqués avec un gazon mis en culture en gazonnière sur un tapis synthétique selon la technologie appelée communément ‘’Lay and Play’’. Pour les 3 autres, il s’agissait d’injection de fibres dans le substrat.
Rappel : les 9 stades hôtes de la Coupe du Monde 2023 étaient : le Stade de France, l’Orange Vélodrome (Marseille), le Groupama Stadium (Lyon), le Stade de la Beaujoire (Nantes), le Stade Geoffroy Guichard (Saint-Etienne), le Stade Pierre Mauroy (Lille), le Matmut Atlantique Stadium (Bordeaux), l’Allianz Riviera (Nice) et le Stadium de Toulouse.
Pour 2 de ces terrains il y a d’abord eu la mise en place d’un gazon de placage classique puis l’injection des fibres. Pour le 3ème, les fibres étaient déjà en place, l’engazonnement a eu lieu par semis. En ce qui concerne les graminées, pour la plupart des terrains c’est un mélange de Ray-grass anglais et de Pâturin des prés qui a été choisi ou 100 % Pâturin des prés. Il faut préciser que ces stades sont multifonctionnels et que durant juin et juillet des concerts se sont déroulés dans ces stades. Les placages de gazon ont eu lieu début août voire fin août pour certains, ce qui n’a pas laissé beaucoup de temps au gazon pour s’implanter surtout avec des mois d’août et de septembre très chauds.
En termes de terrain, quelles étaient les normes édictées par World Rugby ? Y a-t-il eu un travail de préparation pour que les terrains répondent à ses normes ?
Les normes édictées par World Rugby pour ce type de compétition sont surtout sécuritaires pour éviter toutes blessures de joueurs dues à la pelouse et également l’esthétisme pour le rendu télévisuel avec un schéma de tonte spécifique à l’événement. Les différents scoreplays ont permis d’évaluer les performances des terrains et de mettre en œuvre des mesures correctives pour attendre l’optimum pour la compétition.
Les pelouses accueillant les matchs étaient plutôt habituées à accueillir du football, est-ce que cela s’est ressenti dans les tests et les données récoltées ?
En effet les pelouses accueillant du football et du rugby ne réagissent pas de la même manière au jeu. Pour le rugby, il faut un fort ancrage du gazon pour résister aux poussées en mêlées et les stigmates occasionnés par le jeu sont différents. Il a fallu donc insister sur les actions à mettre en œuvre pour bien ancrer le gazon (par exemple arrosage pour lester plus les plaques de gazon dernièrement mises en place). Il en va de la sécurité de joueurs et il ne faut pas qu’une mêlée s’écroule à cause d’une ‘’dérobade’’ du gazon.
Quels différents tests réalisiez-vous sur la pelouse ? Contrôliez-vous autre chose que le sol et la pelouse ?
Une vingtaine de critères étaient évalués allant de l’absorption des chocs, la restitution d’énergie, la déformation verticale, la résistance rotationnelle, la dureté de surface, la densité de la couverture végétale, la performance végétale, la profondeur d’enracinement, la planéité, la vitesse d’infiltration de l’eau, la compacité du substrat, l’aspect esthétique général… Nous avons également réalisé des contrôles in situ de conformité aux exigences World Rugby des dégagements en gazon synthétique. Pour cette compétition, les dégagements devaient mesurés 5 m alors que la plupart des stades avaient des dégagements de 3,50 m, ce qui a imposé des travaux de mise en conformité.
A LIRE EGALEMENT
Coupe du monde 2023 : Comment les pelouses d’entrainement du Mondial ont-elles été suivies ?
A quelles problématiques majeures étiez-vous confrontés durant l’événement ?
Ce qui a été le plus contraignant c’est l’alternance football et rugby sur la plupart des terrains. Cela a imposé des changements de schéma de tonte, des effacements de lignes de jeu et une utilisation importante des pelouses sur une courte durée avec des conditions climatiques très chaudes en début de compétition. Sur certains terrains, les matchs étaient très rapprochés (par exemple 4 matchs en 8 jours) sans compter les stadium runs (reconnaissance du terrain) veille de match. D’autant plus que pour certaines équipes ces reconnaissances se sont résumées à de vrais entraînements avec forte intensité et souvent très localisés sur le terrain.
La messe du Pape au Stade Vélodrome de Marseille en plein milieu de la CDM a mis un peu plus la pression à tout de le monde avec l’établissement de différents scénarios, de protection de la pelouse, de sa remise en état post messe ou éventuellement de son remplacement en urgence. Les répétitions des cérémonies d’ouverture, de clôture et de remise des médailles ont également impacté la pelouse au Stade de France.
Que se passait-il lorsqu’une pelouse ne répondait pas aux normes ? Quel était alors votre rôle ?
Ce fut le cas sur deux pelouses qui avaient été semées en juin et une fois évaluées fin juillet, le constat a été fait qu’elles ne pourraient être prêtes pour le début de la CDM et résister aux matchs. Il a donc été demandé aux gestionnaires de fournir des protocoles de plan B avec placage de pelouse en urgence. Nous les avons validés et parfois demandés des garanties supplémentaires afin de renseigner au mieux France 2023 et de s’assurer que la compétition se déroulerait au mieux.
L’une des images fortes de la compétition a été le soulèvement de la pelouse à Pierre-Mauroy. Comment expliquez-vous cet incident ? Est-ce que vous craigniez que cela arrive ?
Il est vrai qu’il y a eu un gros plan et un ralenti sur ce fait lors de la retransmission TV. Mais il faut relativiser. Lors de cette CDM, il n’y a pas eu de sujet pelouse dans les médias et c’est là le plus important, ni de blessures de joueurs occasionnées par la pelouse. La canicule n’a vraiment pas aidé les pelouses à s’enraciner. Elles étaient un peu en dormance et pour remédier ponctuellement à quelques soulèvements de plaques de gazon des injections manuelles de fibres ont été réalisées par les équipes de jardiniers (un travail très fastidieux). Toutes les équipes de jardiniers ont réalisé un formidable travail avec toutes les contraintes inhérentes à une compétition de ce niveau, sans oublier que pour la plupart des sites il y a eu des alternances football et rugby.
Remporter un marché comme celui-ci, aussi médiatisé, était-ce une grande fierté ou une immense pression ?
Les 2 à la fois. Une très grande fierté d’avoir pu contribuer au succès de cet événement mondial, d’avoir pu aider les gestionnaires de stade et France 2023 dans cette réussite. Une très forte pression également et une très grande réactivité a été nécessaire pour mener à bien cette mission. Un peu plus d’anticipation sur certains sujets auraient peut-être permis d’être un peu plus serein par moment !
De manière générale, comment avez-vous vécu cette expérience ?
Une expérience, bien entendu, très enrichissante, qui m’a fait prendre 10 ans en 1 an ! La réactivité et l’adaptabilité aux différentes situations ont dû être importantes. La gestion de pelouse sportive en gazon naturel reste très complexe et il n’y a jamais rien d’acquis. Il faut rester humble mais avec toujours l’excellence en arrière-pensée.
Quelles sont les grandes échéances à venir pour Labosport ?
Les prochaines échéances pour Labosport sont bien entendu les JO. Nous contrôlons déjà des terrains d’entraînement pour le tournoi de football ainsi que des sols de gymnases pour différentes disciplines sportives ainsi que l’éclairage. En effet nous sommes tous sports, toutes surfaces.
Également, en contrat avec la Ligue Nationale de Rugby nous évaluerons au printemps 2024, les 30 pelouses de Top 14 et Pro D2 ainsi que les phases finales et la Finale du Top 14 délocalisée en 2024 au Stade Vélodrome. Mais il n’y a pas que le haut niveau qui a besoin d’exigences et d’évaluation, les terrains de tous niveaux peuvent monter en performance.