Nicolas Cote et le golf en Russie : Comment entretenir un golf ouvert 7 mois par an ?

Publié le 25 novembre 2022 à 07h00

Catégorie : Pratiques

GSPH24 a interrogé des intendants de terrains français qui exercent ou ont exercé leur métier à l’étranger pour en apprendre davantage sur l’entretien des sols sportifs professionnels en dehors de l’Hexagone. Pour ce nouvel épisode, cap sur la Russie où Nicolas Cote a exercé en temps qu’intendant durant 3 années. Une expérience aussi enrichissante que particulière dans un golf qui fermait ses portes de novembre à mai…

Bonjour Nicolas, pouvez-vous présenter votre parcours ?

J’ai commencé par un BTS Aménagement Paysager à Belfort avant de suivre la formation d’intendant à Dunkerque et Neuvic (sur les deux sites à l’époque) de 2001 à 2003. Après l’obtention de mon diplôme, je suis directement parti au Maroc jusqu’en 2012. Puis je suis allé à Moscou pendant 3 ans (2012-2015) avant de revenir au Maroc (au Royal Golf Dar es Salam à Rabat) jusqu’en 2018. Je suis ensuite revenu en France où je suis le gérant de l’entreprise PH6,8, spécialisée dans la régulation du PH pour les eaux d’arrosage (golfs, stades, pépinières et résidences privés). 

Nicolas Cote (à droite) a passé 3 ans au Tseleevo Golf and Polo Club près de Moscou.

Pourquoi êtes-vous directement parti à l’étranger après votre formation ? 

Je pense que quand on cette opportunité, qu’on n’a pas encore d’enfants ou d’accroches familiales, ce sont des propositions à ne pas refuser ! J’ai connu de superbes expériences durant lesquelles j’ai pu découvrir d’autres cultures, apprendre d’autres langues, d’autres méthodes de travail, etc. Pour rien au monde j’aurais fait autre chose ! Quand on est jeune (ou pas), il ne faut pas hésiter ! 

Pouvez-vous présenter le golf dans lequel vous avez travaillé ? 

En 2012, je suis parti à Moscou, je souhaitais changer d’air et, mon épouse étant russe, souhaitait se rapprocher de sa famille. J’ai trouvé un poste dans un 18 trous Nicklaus Signature (référence mondiale de la conception de parcours de golf, NDLR), le Tseleevo Golf and Polo Club. C’était un parcours magnifique, ouvert en 2008, et situé à une trentaine de kilomètres au Nord de Moscou, dans une forêt de sapins. Parmi la petite cinquantaine de golfs en Russie, il fait partie des plus côtés (meilleur golf de Russie 2014, 2016 et 2017) et a accueilli le Russian Open (European Tour) en 2013 et 2014. En Russie, le golf est encore un sport réservé à une clientèle très haut-de-gamme. 

 

A Moscou, il y a 5 mois de neige durant lesquels le golf est fermé. Cela permet de souffler après une saison golfique très chargée, de préparer les budgets pour l’année à suivre, de faire de la recherche, rencontrer d’autres greenkeepers, aller sur des salons, etc. Nous avions un budget conséquent, une bonne équipe, tout était bien cadré.

En pleine saison, nous étions environ 25 sur le terrain. En hiver, les saisonniers partaient, il restait une petite équipe de 8-10 personnes pour faire du déneigement et l’entretien de la forêt. Sur le golf, il y avait une petite station de ski, des balades en scooter des neiges ou en chiens de traineau. La direction du golf essayait de maintenir une activité l’hiver pour les quelques membres VIP et leurs familles. D’ailleurs, jetez un coup d’œil sur l’héligolf, une activité appréciée des golfeurs en hiver…

L’héligolf pratiqué en Russie lorsque la pratique du golf n’est plus possible l’hiver. Source : Russia tweeter.

 

Qu’est-ce qui vous a frappé dès votre arrivée en Russie ?

Par rapport au Maroc, j’ai trouvé que c’était plus organisé. Chacun avait sa fonction, ses objectifs et ses responsabilités dans l’organigramme de l’entreprise contrairement au Maroc où je gérais à la fois le côté technique, humain, social, politique… En Russie, je pouvais me consacrer pleinement à ma tâche (préparation des plannings de travail, gestion des budgets, des stocks, management de l’équipe d’entretien…). Je pouvais aussi consacrer du temps à la lecture. J’ai lu beaucoup d’articles américains sur la maintenance du gazon dans un climat tel que celui de Moscou car au Nord des Etats-Unis le climat est similaire, notamment dans la région de Chicago. Je me suis renseigné sur la façon d’entretenir des gazons de région froide, préparer un parcours pour l’hiver ou comment faire repartir un gazon au printemps. Ces nouvelles méthodes d’entretien et de travail m’ont permis d’élargir mes connaissances.

L’autonomie du mécanicien chef a aussi été une des choses qui m’a marquée : il préparait ses listes de pièces détachées, et après les avoir validées ensemble il pouvait passer commande. Il manageait son équipe et faisait un gros travail de préparation du matériel avant de commencer la saison. On retrouve beaucoup de machines Toro en Russie. Mais les prix varient en fonction du cours du rouble par rapport au dollar. C’était aussi un peu compliqué par rapport à l’importation de certains produits qui venaient des Etats-Unis ou d’Europe et qui mettaient du temps à arriver. Etant donné que nous avions tout l’hiver, cela nous laissait une fenêtre assez large pour être livré, mais nous nous sommes fait quelques frayeurs tout de même.

 

Quel était le climat de la région ?

La région de Moscou a un climat continental humide : les étés sont courts et chauds et les hivers sont longs et très froids. On peut descendre à -15°C. Il y a une amplitude thermique importante.

Quelles étaient les graminées principales ? 

Nos greens étaient en agrostide Pen A4, qui s’adapte bien aux températures froides. Les fairways étaient constitués d’un mélange de fétuques rouges et de Ray-grass anglais et les roughs en paturin des prés. Nous n’avions pas de difficulté à entretenir les greens, les départs et les roughs. Les fairways en revanche… Lorsque j’ai repris le golf, il n’y avait eu que trop peu de travail mécanique effectué sur les fairways en 5-6 ans. Il y avait une couche de feutre de plus d’1,5 cm produite par les résidus de fétuque rouge très ligneux et difficilement dégradable. Dès qu’il pleuvait, le parcours était injouable et les voiturettes interdites. Nous avons donc commencé un programme d’aération/verticut/sablage. Nous avions trouvé un sable local peu cher que nous avons nous-mêmes tamisé. Nous avons rapidement vu la différence même si c’est un travail sur le long terme. D’ailleurs, mon ancien assistant, qui est aujourd’hui greenkeeper, continue ce programme de sablage.  

Les résultats du programme de sablage mis en place par Nicolas Cote.

Comment se passait l’hiver au golf ? 

Le golf s’arrête début novembre, aux premières chutes de neige. Nous faisions tous les traitements fongicides préventifs avant l’hiver. L’idéal était qu’il tombe une couche épaisse de neige afin de mieux protéger les greens. La neige qui fond en eau, puis gèle en créant une couche de glace en surface, endommage les greens. Compte tenu de la faible charge de travail en hiver, je n’étais rémunéré qu’à 80 %. Je venais deux à trois jours par semaine. J’avais beaucoup de temps pour moi, pour faire les salons notamment. 

Comment prépariez-vous les surfaces de jeu à passer l’hiver ? 

Dans un premier temps, je remontais la hauteur de tonte des greens, départs et fairways pour renforcer le gazon. Nous faisions une application d’engrais potassique avec du fer pour essayer de renforcer le gazon. J’appliquais un fongicide à large spectre sur les greens, départs et fairways. Puis je faisais une grosse aération (12mm) sur les greens et départs. Ensuite je réalisais un gros sablage sans brossage sur les greens/départs afin de couvrir le collet de la plante et d’éviter au maximum les dégâts du gel. 

Comment se passait la reprise du gazon après l’hiver ? 

Si on s’était bien débrouillé avec les traitements fongiques, et que le manteau neigeux avait été épais, alors le parcours sortait de l’hiver quasiment jouable. En revanche, si le timing du fongicide n’avait pas été idéal (juste avant la neige) ou que la neige avait fondu plusieurs fois, alors on pouvait s’attendre à de mauvaises surprises au printemps. Une année, nous en avons eu beaucoup. Lorsque la neige fond le fairway est tout blanc à cause des ronds de pourriture des neiges. Heureusement cette maladie ne touche que le feuillage. Il faut alors gratter avec un peigne, un râteau ou bien avec un verticut afin d’arracher les feuilles de gazon pourries. Il faut ensuite booster la croissance du gazon avec des engrais adaptés. Cette période d’environ 1 mois demande beaucoup de patience et de persévérance. Puis on descend doucement les hauteurs de tonte pour arriver sur des surfaces de jeu jouables au début du mois de mai.

J’ai aussi fait des essais pour accélérer la fonte de la neige, lorsqu’il n’en reste que 10-15cm, en appliquant des graines de tournesol. Celles-ci étant noires, elles retiennent la chaleur et accélèrent la fonte. Idem pour le charbon de bois.  Mais habituellement nous pelletions pour enlever la dernière couche de neige. 

 

Quid l’arrosage ?

Concernant l’arrosage, il fallait purger le réseau en fin de saison (octobre). Avec le gel, le système pouvait être endommagé s’il restait de l’eau dans les conduites. Nous soufflions tout le réseau à l’aide d’un compresseur à partir de la station de pompage. Le fontainier ouvrait tous les arroseurs pour laisser sortir l’eau. L’opération prenait deux jours.

Nous avions un système d’arrosage centralisé Toro Site Pro. L’eau était très dure (environ à 8,5 de pH), conséquence d’une forte concentration en biocarbonates, ce qui causait de nombreux blocages dans le sol. Pour cette raison, la saison estivale était difficile nous avions beaucoup de dry-patch sur les points haut et des flaques dans les points bas. Sur certaines zones de fairway, nous étions obligés d’arroser à la main avec des agents mouillants qu’il est difficile de se procurer en Russie. Nous avons dû poser beaucoup de drainage dans les points bas.

Le golf était donc fermé de novembre à mai, pendant au moins 6 mois, comment le viviez-vous ? 

Nous étions tous très contents de reprendre quand la saison démarrait au mois d’avril ! C’est ça l’avantage : nous étions à fond toute la saison avec des compétitions tous les week-ends. Et lorsqu’elle s’arrêtait nous étions contents de pouvoir nous consacrer à autre chose. La coupure est importante !

Lors de la reprise il fallait prendre des précautions pour ne pas brusquer le gazon. Les hauteurs de tonte restaient hautes (entre 15 et 20mm sur les fairways) avant d’être descendues petit-à-petit. J’avais beaucoup de paturin sur les fairways en raison du feutre qui retenait l’eau et de la faible agressivité de la fétuque rouge. J’avais trouvé un produit (qui n’existe pas en France) qui permettait d’inhiber la floraison du paturin, le rendu était meilleur, mais l’opération couteuse. 

Qu’en est-il de la conscience écologique en Russie ? 

Ce n’est pas encore d’actualité en Russie. Les problématiques environnementales ne sont pas encore entrées dans les mentalités. Nous pouvions utiliser l’ensemble des produits disponibles sur le marché ruse, principalement agricoles. Mais nous ne trouvions pas forcément tout. 

Que vous a apporté cette expérience dans votre carrière ? 

Elle m’a déjà permis de travailler et de me perfectionner sur les techniques d’entretien des gazons de région froide. J’ai pu découvrir la magnifique culture russe, apprendre une nouvelle langue, visiter ce pays gigantesque. C’était très enrichissant et le ferais de nouveau avec plaisir. J’ai gardé plusieurs contacts en Russie, je suis d’ailleurs membre de l’association des greenkeepers en Russie. 

 

Corentin RICHARD

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