Réglementation REACH: quel avenir pour les terrains synthétiques ?
Publié le 1 mars 2024 à 07h00
Catégorie : Pratiques
En septembre 2023, la Commission européenne a voté l’adoption de mesures limitant l’ajout intentionnel de microplastiques aux produits dans le cadre de la réglementation REACH sur les produits chimiques. Ces mesures auront notamment un fort impact sur la composition des terrains synthétiques, mais pas tout de suite…
C’était un sujet de longue date qui animait les discussions à la Commission Européenne. Les débats autour de la réglementation européenne sur les produits chimiques (REACH : Registration, Evaluation, Autorisation and Restriction of Chemicals) ont finalement accouché de l’adoption de mesures visant à limiter les microplastiques ajoutés intentionnellement dans les produits. Et concernant les terrains de sport, qui dit microplastiques dit terrains synthétiques. En effet, dans la restriction adoptée, sont considérées comme microplastiques toutes les particules de polymères synthétiques de moins de 5 mm organiques, insolubles et résistants à la dégradation. Des critères auxquels répondent certains matériaux de remplissage des terrains artificiels, dont le remplissage SBR (Copolymère styrène-butadiène), très répandu.
Dans son rapport du 25 septembre 2023, la Commission européenne affirme sa volonté de protéger l’environnement des rejets de ces microplastiques : « Aujourd’hui, la Commission franchit une nouvelle étape majeure pour protéger l’environnement en adoptant des mesures qui limitent les microplastiques intentionnellement ajoutés aux produits dans le cadre de la législation européenne sur les produits chimiques (REACH). Les nouvelles règles empêcheront le rejet dans l’environnement d’environ un demi-million de tonnes de microplastiques. Ils interdiront la vente de microplastiques ont été délibérément ajoutés et qui libèrent ces microplastiques lors de leur utilisation ». La Commission précise même que les matériaux de remplissage granulaire utilisés sur les surfaces sportives artificielles sont la principale source de microplastiques intentionnels dans l’environnement.
L’ESTC (EMEA Synthetic Turf Congress), l’association professionnelle représentant l’industrie du gazon synthétique en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique, se félicite de cette action en faveur de la durabilité et encourage ses membres à se conformer pleinement aux réglementations REACH. Elle compte bien accompagner ses 158 membres, qui regroupent des fédérations (FIFA, FFF, World Rugby…), des constructeurs et installateurs (Eurofield, Tarkett Sports, Limonta Sport…), des fabricants et fournisseurs de matériaux ou des laboratoires (Labosport notamment).
L’horizon 2031
La Commission précise que l’interdiction de vente concernant les matériaux de remplissage « s’appliquera après une période plus longue afin de donner aux parties prenantes concernées le temps de développer et de passer à des alternatives ». L’Europe a donné un délai de 8 ans pour mettre fin à ce type de matériau de remplissage et se tourner vers de nouvelles solutions. « Gare aux fausses informations ! Non, il ne faut pas changer les granulats élastomère dans les terrains existants tout de suite. Pour la création de nouveaux terrains, nous avons 8 ans pour trouver et pérenniser des alternatives, il ne faut pas se précipiter », souligne Michel Raviart, Président de la Commission Fédérale des Terrains et Installations Sportives (C.F.T.I.S) de la Fédération Française de Football. La 3F travaille depuis longtemps sur ce nouveau virage afin d’accompagner les clubs et les municipalités.
Les terrains synthétiques en France
Sur 24 470 terrains de football en France, plus de 4000 sont en gazon artificiel, dont 3275 de football à 11. Les terrains synthétiques représentent donc un peu plus de 13 % du parc des terrains de football français. « Sous la pression des problèmes d’eau, des problèmes de zéro phytosanitaire, des problèmes de fertilisation, beaucoup de communes jettent l’éponge pour les pelouses naturelles et estiment que les terrains synthétiques sont la meilleure solution pour garantir des conditions de jeu optimales, durables et capables d’absorber une forte intensité de jeu », explique Michel Raviart.
Les terrains de sport composés de remplissage SBR ont donc encore quelques années pour s’adapter. Mais il est important de déjà penser à l’avenir. « Malgré le fait que les remplissages polymères ne seront interdits à la vente qu’à partir de 2031, nous encourageons les propriétaires de terrains artificiels à veiller à ce que toutes les mesures possibles pour empêcher le remplissage de se retrouver dans l’environnement soient prises et mises en œuvre », indique Stefan Diderich, directeur général de l’ESTC.
Dès 2031, les terrains synthétiques n’auront plus la possibilité de s’approvisionner en caoutchouc au sein de l’Union européenne. « L’ESTC encourage les propriétaires qui utilisent des remplissages en caoutchouc ou en plastique à s’assurer que l’utilisation et l’entretien des terrains sont entrepris de manière à minimiser le risque de dispersion du remplissage en quittant le terrain. Les organisations qui continuent d’opter pour le remplissage polymère devront également planifier soigneusement la fin du cycle de vie ou le « complément de maintenance », si l’une ou l’autre de ces dates tombe en dehors de la période de transition », prévient Stefan Diderich.
Un virage déjà initié ?
Les propriétaires de terrains synthétiques déjà construits doivent donc réfléchir à la suite et se questionne sur un changement de remplissage. Tout changement de remplissage sur un terrain synthétique existant (ce qui n’est pas obligatoire) nécessite par la suite un test de reclassement in-situ de la FFF. En effet, avec de nouvelles charges, le terrain n’est plus considéré comme le même qu’auparavant et il est obligatoire de lui faire passer une batterie de tests afin de garantir le respect des valeurs réglementaires (dureté, roulement de ballon, etc.)
Certaines communes ont déjà anticipé la nouvelle réglementation, qui était dans les petits papiers de la Commission européenne depuis quelques années. « Lorsque nous regardons le parc de terrains synthétiques, il était constitué à environ 80 % de charges élastomère. Quand nous regardons les deux dernières saisons, le liège a pris 30 % du parc, 9 % pour les noyaux d’olive. Il y a déjà une montée des alternatives », constate Michel Raviart. Et celle-ci ne date pas forcément des premières discussions sur la réglementation REACH. En 2017, 95 % du marché des gazons synthétiques présentaient un remplissage en SBR noir. Mais suite à la publication d’un reportage d’Envoyé Spécial sur France 2 sur les possibles risques sanitaires des remplissages polymères sur les joueurs, la filière s’est activée à trouver des alternatives, organiques ou non. En moins de six ans, la donne a totalement changé avec aujourd’hui près de 80 % des appels d’offres qui se font avec des remplissages organiques.
De son côté, l’ESTC lance déjà de grandes manœuvres pour accompagner la filière. « En prévision de l’interdiction complète de la vente des remplissages SBR, l’ESTC travaillera avec ses membres pour rehausser le profil des alternatives naturelles afin de garantir que le marché continue sa transition le plus rapidement et le plus facilement possible. Nous avons déjà mis en place un groupe d’intérêt sur les remplissages pour élaborer des directives sur tous les types de matériaux de remplissage, avec un accent particulier sur les remplissages non-polymères qui ne relèvent pas de la nouvelle restriction de l’UE », explique le directeur général. L’ESTC, avec ses membres, finalise un ensemble de règles pour le gazon synthétique dans le cadre de la méthodologie de la Commission européenne sur l’empreinte environnementale des produits. « Ces règles permettront aux prescripteurs et aux acheteurs de mieux identifier les fabricants, les installateurs, les spécialistes de la maintenance et les installations de recyclage qui fonctionnent de la manière la plus durable », poursuit Stefan Diedrich.
Quelles solutions pour la filière ?
Plusieurs alternatives sont déjà présentes sur le marché, et la FFF les scrute attentivement. Pour certaines, la fédération bénéficie déjà d’assez de recul. « Il y a d’abord eu le liège, mais nous avons rapidement remarqué qu’il y avait différentes qualités de liège sur le marché. Il faut y faire attention. Il y en a d’autres : fibres de coco, rafles de maïs, noyaux d’olive, paillettes en bois, etc. », explique le président de la commission. Mais les clubs et les joueurs peuvent être confrontés à plusieurs phénomènes problématiques inhérents à ces alternatives : glissance superficielle humide, abrasivité, arrachements précoces de fibres… La FFF est très attentive à ces retours et a d’ailleurs lancé une enquête auprès des clubs pour avoir leur ressenti, aussi bien sur ces alternatives que sur les matériaux de remplissage traditionnels.
Si les alternatives organiques semblent être la solution toute trouvée à la législation, quelques interrogations demeurent et ne pourront être soulevées qu’avec un recul de plusieurs années. Les remplissages organiques sont par définition voués à se dégrader. Qu’en sera-t-il des terrains synthétiques avec ce genre de remplissage ? « Comment vont vivre ces terrains-là à 5 ans, à 8 ans ou à 10 ? Aujourd’hui nous n’avons pas le recul pour le prédire », admet Michel Raviart. A cela s’ajoute un cout supérieur qui peut être un frein. Et c’est tout un marché qu’il faut sensibiliser pour Stefan Diderich : « Bien que les matériaux de remplissage durables soient disponibles sur le marché depuis un certain nombre d’années, nous reconnaissons la nécessité d’éduquer le marché pour regarder au-delà du prix du remplissage et de considérer l’impact environnemental. De même, l’industrie du gazon synthétique doit se préparer à poursuivre son introduction progressive d’alternatives plus durables en faisant la promotion des avantages du remplissage biosourcé et biodégradable auprès des clients et des utilisateurs finaux. »
Du côté de la recherche, on s’active pour trouver de nouvelles alternatives. C’est par exemple le cas de l’Université de Castilla-La Mancha en Espagne, où le groupe de recherche IGOID réalise des tests et des évaluations de surfaces sportives au sein du Centre de recherche et d’innovation en surfaces sportives. Le groupe d’experts a remporté l’appel à projet « Solution circulaire et sûre pour les terrains en gazon synthétique (LIFET4C) », financé par la Commission européenne et le Programme pour l’environnement et l’action climatique (LIFE). Il a pour objectif de trouver le substitut idéal au caoutchouc dans les terrains synthétiques. Comme le révèle El Confidencial, plusieurs scientifiques, des entreprises et la Fédération royale espagnole de football (RFEF) participent au projet qui devrait aboutir à la construction d’un prototype de terrain expérimental pour tester certaines des solutions possibles.
Des questions restent en suspens…
La filière des gazons synthétiques n’a donc pas attendu l’adoption des mesures visant à limiter les microplastiques pour s’activer à la recherche de solutions. Malgré l’apparition d’alternatives plus durables, certaines questions subsistent encore. C’est notamment le cas du recyclage des matériaux de remplissage en caoutchouc, mais pas seulement. En effet, le remplissage SBR est généralement lui-même issu du recyclage des pneus. Il faudra donc trouver une nouvelle valorisation des pneus en fin de vie. Si se passer de remplissage polymère semble envisageable, se passer de pneus serait bien plus difficile.
Outre les matériaux de remplissage, la Commission européenne pourrait bien à l’avenir se pencher sur la pollution causée par les fibres synthétiques. En effet, une étude de l’Université de Barcelone a montré que les fibres de gazons artificiels sont des polluants répandus dans les eaux de surface des rivières et des mers.